LA LIGNE interroge le devenir de nos propres infrastructures en explorant le parcours d’un viaduc abandonné, vestiges de l’Aérotrain expérimental de l’ingénieur BERTIN, qui, partant de nulle part pour mener à rien, sillonne la plaine beauceronne, entre Orléans et Paris, sur 18 km.
Points de vue
Luc Debraine
Musée suisse de l’appareil photographique, Vevey
La photographie est affaire de point de vue. Jean-Marc Yersin en adopte deux, l’un spatial, l’autre temporel. Il prend d’abord position dans l’espace, face à l’ouvrage d’art ou à la friche industrielle qui a retenu son attention. Il détermine la bonne distance, la bonne focale, la bonne perspective, le bon cadrage, bien sûr la bonne lumière. Ses images sont aussi construites que leurs sujets de béton et d’acier.
Jean-Marc Yersin choisit également un point de vue dans la durée. Il y a trente ans, lorsque le photographe a commencé à s’intéresser à la tension conflictuelle entre le bâti et la nature, il s’est imposé une contrainte imaginaire. Comment, s’est-il dit, ces infrastructures massives seront vues dans le futur, alors qu’elles seront sans doute à l’abandon. Les générations de demain les conserveront-elles comme les symboles d’époques déraisonnables ? Les laisseront-elles à leur destin de gravats et de rouille ? L’important n’est pas la réponse, mais la question posée par un regard qui se projette vers l’avant plutôt que vers l’arrière.
Le format carré choisi par Jean-Marc Yersin n’a pas seulement pour fonction de créer des séquences homogènes de tirages sur les murs ou dans des publications. Le carré permet de mieux isoler la construction de son environnement, de son époque, de sa fonction. Le choix du noir et blanc renforce cette volonté d’abstraction, au sens de ce qui sépare ou soustrait. Le carré a de plus la qualité de bien contenir l’image, de concentrer son énergie. Surtout si elle est aussi rigoureusement structurée qu’une photographie de Jean-Marc Yersin.
Points de vue dans l’espace, dans le temps, mais aussi sur la photographie elle-même. Les «vestiges», pour reprendre le titre que l’auteur a donné à sa série, sont des traces. «Vestigium», chez les latins, c’était la «trace de pas».
Passionné par l’histoire, la technique et la pratique de la photographie, Jean-Marc Yersin sait que son art d’élection est une empreinte.
«Le miroir permanent de la nature» ou «le miroir doté d’une mémoire», disaient les pionniers au XIXe siècle. Saisir avec tant de science ces vestiges est aussi une réflexion sur l’être même de la photographie.